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  History/Vingt années de disc jockey
  Article paru le 5/6/93 au journal "le Nieuwsblad" (Rubrique Culture Interview)

Vingt années de disc jockey
Door Paul DEMEYER 

 

 Il y a douze ans, il changea son nom. Jef devint Jeff. Jeff Callebaut allait en Amérique.Une amie à l'ambassade lui avait refilé un bon tuyau au sujet d’un disquaire à Los Angeles, dont le commerce était à remettre.A Los Angeles, Jeff pouvait recommencer une nouvelle vie, comme marchand de disques.Mais une fois que les derniers détails avaient été réglés, son amie décéda du cancer.Jeff resta Jeff et il ne quitta pas la Belgique.

Aujourd’hui le dancing Popcorn envoie partout des affiches et des cartons d’invitation pour célébrer les 20 années de carrière de Jeff en tant que disc jockey. Comment est-ce qu’une personne a pu tenir le coup aussi longtemps ? Jeff Callebaut s’explique pendant sa pause du midi.."Mon père tenait un café « La Paix » à Denderleeuw, où il y avait une salle de fêteIl faisait appel à des discobars quand il y avait des fêtes en soirée. Lorsqu’un des disc jockeys cessa ses activités, mon père lui a racheté son discobar. Mon frère et moi parcourions, avec le discobar, la Flandre orientale et le Brabant.Chaque week-end nous faisions tourner des disques à l’occasion de mariages.

Après deux années, j’étais fatigué du discobar, à cause du même train-train et des déplacements.C’est juste à ce moment-là que je pouvais commencer comme dj  au «Kings », un des meilleurs dancings d’Alost. Je faisais tourner mes disques le vendredi et samedi pour un tarif de 120 frs de l’heure.Cela semble peu de nos jours, mais à l’époque en 1974, c’était fort bien payé.J’ai reçu trois années plus tard une proposition d’un nouveau dancing. Je préfère que vous ne citez pas son nom. Il jouissait en effet d’une certaine réputation.. Il s’agissait d ‘une proposition fort intéressante par ailleurs: 20.000 frs par mois.

J’acceptai la proposition et  je jouai un jeu subtil. Cette fois j’apportais avec moi mes propres disqueset j’en achetais chaque semaine des nouveaux de ma poche.Certaines semaines, je dépensais plus de 30.000 frs à l’acquisition de nouveaux disques.De cette manière je fidélisais le patron. S’il me mettait à la porte, il perdait du même coup toute sa collection de disques, ce qui aurait été une catastrophe car le public ne venait déjà plus sans raison dans un dancing.Les gens venaient soit pour le patron, les garçons, le dj ou soit pour sa musique.Ensuite, quatre ans plus tard, les portes du dancing « Popcorn » à Vrasene s’ouvrèrent.En un minimum de temps il devint le top  des dancings. J’y sortais d’ailleurs souvent après mes heures passées comme disc jockey. Le « Popcorn » avait  visiblement eu vent de mes qualités car un soir son patron m’envoya un soir quelqu’un écouter mes prestations. Cela lui plut et peu après le « Popcorn » me fit une proposition ; une proposition fortintéressante d’ailleurs : 1.800 frs par heure. Aujourd’hui c’est pas mal d’argent , mais en 1977,  c’était vraiment beaucoup d’argent. Notez bien que je n’ai jamais travaillé en noir.Seize années plus tard je suis toujours dj au « Popcorn ».  Cependant seulement le samedi soir.Un être humain, avec l’âge, ne supporte plus très bien ces nuits épuisantes.

Biorythme

Les premières années j’étais indestructible. Je faisais tourner mes disques la nuit des vendredi, samedi et  dimanche et je sortais encore par la suite.Mais jamais, pas une seule fois, je n’ai dormi plus longtemps que jusqu’à midi. Dormir plus longtemps, alors que j’ai  ma femme et mon fils Cederic, est impardonnable. Je vis avec deux biorythmes : l’un pour la semaine et l’autre pour le week-end.Les deux ne se connaissent d’ailleurs pas et c ‘est bien aussi. C’est ainsi que le lundi  matin je suis à nouveau frais à mon bureau. Jamais je ne suis venu en retard, jamais je ne me suis porté malade à mon travail. Quand mêmes ces 20 années de dj ont laissé des traces.

Parce que devais toujours tourner assez fort le bouton du volume, je suis devenu un peu sourd. Un an après que mon plan pour l’Amérique est tombé à l’eau, j’ai rencontré ma femme au dancing. Un année plus tard nous nous sommes mariés. Encore un an après notre fils est né. J’ai énormément de la chance avec mon épouse. Elle a confiance en moi, c’est grâce à cela que j’ai pu rester dj jusqu’à aujourd’hui. J’ai vu beaucoup de mariages de collèges se briser, parce que le mari continuait à tourner ses disques.

LES FEMMES

Je comprends  ce qui pousse les hommes. C’est en effet comme une drogue.Chaque semaine on  se trouve à nouveau devant le défi : va-t-on attirer le public sur la piste de danse ?Je ressens toujours les mêmes émotions aujourd’hui. Lorsque je monte dans ma voiture le samedi soir, en route vers le « Popcorn », je ne suis pas abordable. Je suis déjà complètement concentré sur la nuit qui va venir. Est ce que les femmes trouvent les djs attirant ? Indiscutablement. Je sens d’ailleurs aujourd’hui un regain de mon succès.  Mais les disc jockeys ne peuvent utiliser ce succès que de manière limitée. Les filles n’ont la plupart du temps pas la patience d’attendre qu’un dj a terminé son travail. et pendant la semaine, il reste aussi que peu de temps. Aussi  les  bons dj ‘s vont à chasse aux disques Cette chasse est très importante.

Les disc jockey ne se maintiennent à la première place que grâce à leur musique. C’est sur cet objectif qu’il faut donc se concentrer. Il ne faut pas regarder à l’effort. Chercher jusqu’à ce l’on obtienne le disque unique, dont on sait qu’il peut amener la foule à danser. Cela a toujours mon état d’esprit. Je partais régulièrement en Amérique. J’emportais toujours avec moi un petit tourne-disques. C’est avec cela que je me rendais dans les greniers plein de poussière et que j’écoutais tous les disques. Parfois dès 6 h du matin jusqu’à minuit, avec à peine une pause à midi. Mais tous ces efforts rapportaient quelque chose. C’est ainsi que j’ai trouvé ‘Cleopatra Kick ‘ de Jacky La Forge, pour environ 15 fr Il est assez dommage qu’un an auparavant j’avais dû allonger pour le même disque 12.000 frs. Aujourd’hui la chasse aux disques prend une moindre importance. Le disc jockey moderne doit seulement faire attention que ses disques ont le juste tempo et les gens dansent. On attendait de nous à l’époque de la variation"

DIFFERENCES

A côté d’un connaisseur de musique, un bon disc jockey était également un psychologue et un confesseur. Derrière le tourne-disques on pouvait voir des relations naître et ensuite se casser. Alors on était une épaule réconfortante ou on faisait de la médiation dans une nouvelle relation amoureuse. Un bon disc jockey était comme l’embouchure d’ un fleuve se jetant dans la mer. Mais j’avais défini certaines limites. Je ne pouvais pas toujours faire droit aux requêtes en passant les disques demandés et certainement pas lorsqu’on me demandait toutes les heures le même disque.  Aujourd’hui la frontière entre le public et le disc-jockey est beaucoup plus large. Dans ces méga-dancings on voit à peine le dj, moins encore on va le déranger. Cet aspect social a totalement disparu. Auparavant le travail du dj était encore beaucoup plus artisanal. Je faisais tourner mes disques longtemps sur un Lenco 75. Pendant qu’un disque tournait, l’autre était déjà prêt sur une deuxième tourne-disques, que je retenais à la main , juste à l’endroit du sillon où nous voulions que la musique commençait. Avec la venue du lecteur cd tout cela a changé. Il y a un peu moins de charme. D’ailleurs je n’ai un lecteur cd que depuis un an. Beaucoup trop de vieux matériel sort sur un cd, de sorte que l’on ne peut faire sans s’acheter un lecteur cd.

Je dois être honnête : auparavant le dj avait quand-même plus facile. Les gens sortaient à l’époque en groupe. Lorsqu’une personne du groupe dansait, toute la bande le rejoignait immédiatement sur la piste de danse. Maintenant on sort la plupart du temps seul ou au maximum en couple. C’est là que se pose un plus  grand défi pour le dj moderne. Cela revient à connaître son public. Savoir celui qui peut mettre le bazar en feu et en flammes. De ces personnes, il faut en avoir. Mais il faut savoir quand  on peut les prendre. Il faut faire tourner les disques-atout au bon moment. Je connaissais mon public, c’était mon plus grand atout. Une fois j’ai été concurrencé et j’ai dû partir. Après deux semaines, le patron me suppliait de revenir. Son public avait quasi diminué de moitié. La même chose se produisait chaque fois que je partais en vacances. Pour être tout à fait honnête : on ne trouve pas les vrais disc jockeys dans une discothèque mais sur la route. Ceux qui chaque semaine font tourner leurs disques aux  mariages, ça ce sont les vrais. Ils doivent faire tourner leurs disques au goût de chacun pour tous les âges et toujours pour un autre public. Pour eux je lève mon chapeau. Le meilleur des meilleurs dj est celui qui m’attirera sur la piste de danse. De moi-même je ne danse en effet presque jamais. Mais cela semble propre à tous les disc jockeys. Ma place est de l’autre côté de la barrière.

ARRETER

Cela fait dix ans que je dis que je vais arrêter. Une fois c’était presque réussi. Mais après sept mois  d’interruption je me retrouvais déjà  à nouveau derrière la platine du tourne-disques. Pourquoi est-ce que je continue ? Certainement pas pour l’argent. Je suis d’ailleurs déjà depuis longtemps sur le retour. L’époque où je recevais 15.000 fr pour faire tourner mes disques pendant trois heures à une fête à Termonde est depuis longtemps révolue. Je ne veux pas diminuer l’importance de l’argent comme motif. Avec une partie de cet argent je suis en train de construire une nouvelle maison. Une autre partie se trouve dans ma collection de disques. Quand j’étais jeune, j’osais bien l’exposer de manière bien visible. Les occupants des voitures, à côté desquelles je roulais, écarquillaient parfois bien leurs yeux. Mais on oublie bien à côté de cela que je travaillais chaque week-end et que je n’étais jamais à la maison ni à la Noël ni à la nouvelle année. Peut être que j’arrête cette année.  Le Popcorn est tout comme moi aussi arrivé à son plus haut niveau. Même, avec le regain de la musique des années ’60 et ’70 nous espérions un plus grand public. Mais cela stagnait déjà à nouveau rapidement. Maintenant cela va à nouveau vers le bas.

Paul DEMEYER

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Le dj Jeff joue encore régulièrement au dancing 'Popcorn'. Je l’ai rencontré récemment et il n’était pas question qu’il s’arrête.Après une année de silence, un vrai regain est en train de se produire. Maintenant  que la plupart des fêtards de  l’époque ont plus de temps à s’y consacrer, Ils reprennent à nouveau le fil de leurs idées et redécouvrent leur musique préférée d’il y a 20 ans pour danser. (Erik Verstichel, 18/3/2001 traduisation: Pascal Petermans)

(Erik Verstichel, 18/3/2001)