Il y a
douze ans, il changea son nom. Jef devint Jeff. Jeff Callebaut allait en
Amérique.Une amie à l'ambassade lui avait refilé un bon
tuyau au sujet d’un disquaire à Los Angeles, dont le commerce était à remettre.A Los Angeles, Jeff pouvait recommencer une
nouvelle vie, comme marchand de disques.Mais une fois que les derniers détails avaient
été réglés, son amie décéda du cancer.Jeff resta Jeff et il ne quitta pas la
Belgique.
Aujourd’hui le dancing Popcorn envoie partout
des affiches et des cartons d’invitation pour célébrer les 20 années de carrière de Jeff en tant que disc
jockey. Comment est-ce qu’une personne a pu tenir le
coup aussi longtemps ? Jeff
Callebaut s’explique pendant sa pause du midi.."Mon père tenait un café « La
Paix » à Denderleeuw, où il y avait une salle de fêteIl faisait appel à des discobars quand il y
avait des fêtes en soirée. Lorsqu’un des disc jockeys cessa ses
activités, mon père lui a racheté son discobar. Mon frère et moi parcourions, avec le
discobar, la Flandre orientale et le Brabant.Chaque week-end nous faisions tourner des
disques à l’occasion de mariages.
Après deux années, j’étais fatigué du
discobar, à cause du même train-train et des déplacements.C’est juste à ce moment-là que je pouvais
commencer comme dj au «Kings », un
des meilleurs dancings d’Alost. Je faisais tourner mes disques le
vendredi et samedi pour un tarif de 120 frs de l’heure.Cela semble peu de nos jours, mais à l’époque
en 1974, c’était fort bien payé.J’ai reçu trois années plus tard une
proposition d’un nouveau dancing. Je préfère que vous ne citez pas son nom. Il
jouissait en effet d’une certaine réputation.. Il s’agissait d ‘une
proposition fort intéressante par ailleurs: 20.000 frs par mois.
J’acceptai la proposition et je jouai un jeu subtil. Cette fois
j’apportais avec moi mes propres disqueset j’en achetais chaque semaine des nouveaux
de ma poche.Certaines semaines, je dépensais plus de
30.000 frs à l’acquisition de nouveaux disques.De cette manière je fidélisais le patron. S’il
me mettait à la porte, il perdait du même coup toute sa collection de disques,
ce qui aurait été une catastrophe car le public ne venait déjà plus sans raison
dans un dancing.Les gens venaient soit pour le patron, les
garçons, le dj ou soit pour sa musique.Ensuite, quatre ans plus tard, les portes du
dancing « Popcorn » à Vrasene s’ouvrèrent.En un minimum de temps il devint le top des dancings. J’y sortais d’ailleurs souvent après mes
heures passées comme disc jockey. Le « Popcorn » avait visiblement eu vent de mes qualités car un
soir son patron m’envoya un soir quelqu’un écouter mes prestations. Cela lui
plut et peu après le « Popcorn » me fit une proposition ; une
proposition fortintéressante d’ailleurs : 1.800 frs par
heure. Aujourd’hui c’est pas mal d’argent , mais en 1977, c’était
vraiment beaucoup d’argent. Notez bien que je
n’ai jamais travaillé en noir.Seize années plus tard je suis toujours dj au
« Popcorn ». Cependant
seulement le samedi soir.Un être humain, avec l’âge, ne supporte plus
très bien ces nuits épuisantes.
Biorythme
Les premières années j’étais indestructible.
Je faisais tourner mes disques la nuit des vendredi, samedi et dimanche et je sortais encore par la suite.Mais jamais, pas une seule fois, je n’ai dormi
plus longtemps que jusqu’à midi. Dormir plus longtemps, alors que j’ai ma femme et mon fils Cederic, est
impardonnable. Je vis avec deux biorythmes : l’un pour
la semaine et l’autre pour le week-end.Les deux ne se connaissent d’ailleurs pas et
c ‘est bien aussi. C’est ainsi que le lundi matin je suis à nouveau frais à mon bureau.
Jamais je ne suis venu en retard, jamais je ne me suis porté malade à mon
travail. Quand mêmes ces 20 années de dj ont
laissé des traces.
Parce que devais toujours tourner assez fort le
bouton du volume, je suis devenu un peu sourd. Un an après que mon plan pour l’Amérique est
tombé à l’eau, j’ai rencontré ma femme au dancing. Un année plus tard nous nous sommes mariés.
Encore un an après notre fils est né. J’ai énormément de la chance avec mon
épouse. Elle a confiance en moi, c’est grâce à cela que j’ai pu rester dj
jusqu’à aujourd’hui. J’ai vu beaucoup de mariages de collèges se
briser, parce que le mari continuait à tourner ses disques.
LES FEMMES
Je comprends
ce qui pousse les hommes. C’est en effet comme une drogue.Chaque semaine on se trouve à nouveau devant le défi :
va-t-on attirer le public sur la piste de danse ?Je ressens toujours les mêmes émotions
aujourd’hui. Lorsque je monte dans ma voiture le samedi soir, en route vers le « Popcorn », je ne
suis pas abordable. Je suis déjà complètement concentré sur la
nuit qui va venir. Est ce que les femmes trouvent les djs
attirant ? Indiscutablement. Je sens d’ailleurs aujourd’hui un regain de
mon succès. Mais les disc jockeys ne peuvent utiliser ce
succès que de manière limitée. Les filles n’ont la plupart du temps pas la patience d’attendre qu’un dj a terminé
son travail. et pendant la semaine, il reste aussi que peu
de temps. Aussi les bons dj ‘s vont à chasse aux disques
Cette chasse est très importante.
Les disc jockey ne se maintiennent à la
première place que grâce à leur musique. C’est sur cet objectif qu’il faut donc
se concentrer. Il ne faut pas regarder à l’effort. Chercher jusqu’à ce l’on
obtienne le disque unique, dont on sait qu’il peut amener la foule à
danser. Cela a toujours mon état d’esprit. Je partais régulièrement en Amérique.
J’emportais toujours avec moi un petit tourne-disques. C’est avec cela que je me rendais dans les
greniers plein de poussière et que j’écoutais tous les disques. Parfois dès 6 h du matin jusqu’à minuit, avec
à peine une pause à midi. Mais tous ces efforts rapportaient quelque chose. C’est ainsi que
j’ai trouvé ‘Cleopatra Kick ‘ de Jacky La Forge, pour environ 15 fr Il est assez dommage qu’un an auparavant
j’avais dû allonger pour le même disque 12.000 frs. Aujourd’hui la chasse aux disques prend une moindre
importance. Le disc jockey moderne doit seulement faire attention que ses
disques ont le juste tempo et les gens dansent. On attendait de nous à l’époque
de la variation"
DIFFERENCES
A côté d’un connaisseur de musique, un bon
disc jockey était également un psychologue et un confesseur. Derrière le
tourne-disques on pouvait voir des relations naître et ensuite se casser. Alors on était une épaule réconfortante ou on
faisait de la médiation dans une nouvelle relation amoureuse. Un bon disc jockey était comme l’embouchure d’
un fleuve se jetant dans la mer. Mais j’avais défini certaines limites. Je ne pouvais pas toujours faire droit aux
requêtes en passant les disques demandés et certainement pas lorsqu’on me
demandait toutes les heures le même disque. Aujourd’hui la frontière entre le public et le
disc-jockey est beaucoup plus large. Dans ces méga-dancings on voit à peine le
dj, moins encore on va le déranger. Cet aspect social a totalement disparu.
Auparavant le travail du dj était encore beaucoup plus artisanal. Je faisais tourner mes disques longtemps sur
un Lenco 75. Pendant qu’un disque tournait, l’autre était déjà prêt sur une deuxième tourne-disques, que je
retenais à la main , juste à l’endroit du sillon où nous voulions que la musique commençait.
Avec la venue du lecteur cd tout cela a
changé. Il y a un peu moins de charme. D’ailleurs je n’ai un lecteur cd que depuis un
an. Beaucoup trop de vieux matériel sort sur un cd, de sorte que l’on ne peut faire sans s’acheter un
lecteur cd.
Je dois être honnête : auparavant le dj
avait quand-même plus facile. Les gens sortaient à l’époque en groupe. Lorsqu’une personne du groupe
dansait, toute la bande le rejoignait immédiatement sur la piste de danse. Maintenant on sort la plupart
du temps seul ou au maximum en couple. C’est là que se pose un plus grand défi pour le dj moderne. Cela revient à
connaître son public. Savoir celui qui peut mettre le bazar en feu
et en flammes. De ces personnes, il faut en avoir. Mais il
faut savoir quand on peut les prendre.
Il faut faire tourner les disques-atout au bon moment. Je connaissais mon public, c’était mon plus
grand atout. Une fois j’ai été concurrencé et j’ai dû
partir. Après deux semaines, le patron me suppliait de revenir. Son public avait quasi diminué de moitié. La
même chose se produisait chaque fois que je partais en vacances. Pour être tout à fait honnête : on ne
trouve pas les vrais disc jockeys dans une discothèque mais sur la route. Ceux qui chaque semaine font tourner leurs
disques aux mariages, ça ce sont les
vrais. Ils doivent faire tourner leurs disques au
goût de chacun pour tous les âges et toujours pour un autre public. Pour eux je lève mon chapeau.
Le meilleur des meilleurs dj est celui qui
m’attirera sur la piste de danse. De moi-même je ne danse en effet presque
jamais. Mais cela semble propre à tous les disc jockeys. Ma place est de
l’autre côté de la barrière.
ARRETER
Cela fait dix ans que je dis que je vais
arrêter. Une fois c’était presque réussi. Mais après sept mois d’interruption je me retrouvais déjà à nouveau derrière la platine du
tourne-disques. Pourquoi est-ce que je continue ? Certainement pas pour l’argent. Je suis
d’ailleurs déjà depuis longtemps sur le retour. L’époque où je recevais 15.000 fr pour faire
tourner mes disques pendant trois heures à une fête à Termonde est depuis
longtemps révolue. Je ne veux pas diminuer l’importance de
l’argent comme motif. Avec une partie de cet argent je suis en train de
construire une nouvelle maison. Une autre partie se trouve dans ma collection
de disques. Quand
j’étais jeune, j’osais bien l’exposer de manière bien visible. Les occupants
des voitures, à côté desquelles je roulais, écarquillaient parfois bien leurs
yeux. Mais on oublie bien à côté de cela que je
travaillais chaque week-end et que je n’étais jamais à la maison ni à la Noël ni à la nouvelle année.
Peut être que j’arrête cette année. Le Popcorn est tout comme moi aussi arrivé à
son plus haut niveau. Même, avec le regain de la musique des années
’60 et ’70 nous espérions un plus grand public. Mais cela stagnait déjà à nouveau rapidement.
Maintenant cela va à nouveau vers le bas.
Paul DEMEYER
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Le dj Jeff joue encore
régulièrement au dancing 'Popcorn'. Je l’ai rencontré récemment et il n’était
pas question qu’il s’arrête.Après une année de silence, un
vrai regain est en train de se produire. Maintenant que la plupart des fêtards de l’époque ont plus de temps à s’y consacrer,
Ils reprennent à nouveau le fil
de leurs idées et redécouvrent leur musique préférée d’il y a 20 ans pour
danser. (Erik Verstichel, 18/3/2001
traduisation: Pascal Petermans)
(Erik Verstichel,
18/3/2001)
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